Les covido-sceptiques, variants du complotisme

Véronique Lemberg
Hostiles aux masques, au confinement, aux mesures de distanciation, à la vaccination, une nébuleuse complotiste disparate s’est muée en mouvance covido-sceptique niant la réalité de la pandémie. Très active sur les réseaux sociaux, l’imaginaire complotiste de cette mouvance rejaillit malgré tout dans le monde réel.
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L’hésitation vaccinale était plus ou moins significative il y a un an, lorsqu’on annonçait que des vaccins étaient en cours de fabrication. Toutefois, la non-adhésion à se faire vacciner n’était pas immuable. Comme le documente le 31e rapport du Baromètre1 de la motivation, mis au point par l’UGent, l’UCLouvain et l’ULB, la majorité (60 %) (1) des personnes qui redoutaient la vaccination au début de la campagne ont finalement changé d’avis. L’hésitation vaccinale a donc considérablement diminué sous l’effet conjugué du succès de la campagne de vaccination en Europe. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas confondre cette interrogation légitime sur l’opportunité de se faire vacciner avec la défiance vaccinale fondée sur des considérations dogmatiques et complotistes.

Bien qu’elle demeure minoritaire, la vague complotiste s’est amplifiée avec la pandémie. Elle s’accroche à l’idée d’un complot politico-industriel selon lequel les autorités politiques et scientifiques, de mèche avec l’industrie pharmaceutique qui les contrôle, cachent la réalité sur la nocivité du vaccin contre le covid-19. Il y a peu de chances que tous ces gens soient convaincus du contraire par la communication gouvernementale ou scientifique à ce sujet. Les prémices de l’érosion de la culture du raisonnement scientifique fermentaient déjà bien auparavant et ce, au-delà des cercles de militants d’extrême droite et de quelques sectes d’illuminés, adeptes traditionnels du complotisme. Le soupçon, le relativisme et les récits alternatifs prospèrent avec un succès inégalé. Une étude réalisée en août 2020 par le Forum économique mondial, dans 27 pays dont la Belgique, montrait déjà que 26 % des gens refuseraient la vaccination anti-covid. En Belgique, ce taux atteindrait même 30 % de récalcitrants ou de gens qui se méfient (2).

« Dictature sanitaire »

Ce pourcentage significatif ne renvoie pas à un mouvement anti-vaccin homogène. « Au départ, il n’y a pas un seul mouvement anti-vaccin », fait remarquer Rudy Reichstadt, fondateur de Conspiracy Watch, l’Observatoire du conspirationnisme et des théories du complot et auteur de L’Opium des imbéciles.

Essai sur la question complotiste (éd. Grasset). « Il s’agit d’une pluralité de chapelles relativement distinctes. Elles communient toutefois dans le rejet de ce qu’elles appellent la « dictature sanitaire et la campagne de vaccination, considérée comme un crime contre l’humanité et un instrument de domination. Auparavant, il y avait des catholiques intégristes et des groupuscules écologistes new age prônant des médecines alternatives. Mais avec la pandémie, c’est bien l’émergence de la mouvance covido-sceptique en 2020 qui vient supplanter ces mouvements anti-vaccin traditionnels. Une des figures marquantes de cette nouvelle mouvance est le chanteur Francis Lalanne. Très actif au sein des Gilets jaunes, il est devenu un complotiste radical et un véritable croisé de lutte contre la vaccination ».

"Avec la pandémie, c’est bien l’émergence de la mouvance covido-sceptique en 2020 qui vient supplanter ces mouvements anti-vaccin traditionnels. Une des figures marquantes de cette nouvelle mouvance est le chanteur Francis Lalanne. Très actif au sein des Gilets jaunes, il est devenu un complotiste radical et un véritable croisé de lutte contre la vaccination"

Il n’est pas étonnant de voir de nombreuses figures des Gilets jaunes adhérer au covido-scepticisme même si au départ leurs revendications portent sur des questions sociales ou sur la violence policière. Avec la dénonciation de la « dictature sanitaire » selon laquelle les gouvernements ne sont que des courroies de transmission relayant les ordres que leur donnent les entreprises pharmaceutiques (Big Pharma), la détestation des « élites mondialistes » chère aux Gilets jaunes trouve un nouveau point de fixation. Toutefois, on remarque vite que les passerelles entre toutes ces chapelles et ces groupuscules préexistaient. Elles se sont renforcées sous nos yeux. L’exemple de la généticienne française Alexandra Henrion-Caude illustre bien ce phénomène. Virulemment hostile à la vaccination contre le covid-19, elle baignait déjà dans un milieu politique et idéologique très marqué par l’extrême droite catholique.

L’enfermement algorithmique des réseaux sociaux

La centralité des réseaux sociaux est une autre caractéristique que partage la mouvance convido-sceptique avec les Gilets jaunes « Les réseaux sociaux sont à la fois des révélateurs du complotisme en ce qu’ils confirment les nombreuses convergences entre ces groupes, et de formidables catalyseurs, ils sont devenus des espaces de rencontre où il est possible de communiquer, de consulter des contenus alternatifs, d’échanger des pratiques et surtout, d’exister. Internet et les réseaux sociaux sont des instruments majeurs dans la diffusion du complotisme », observe Rudy Reichstadt. S’il n’y avait pas eu Facebook, il y aurait certes eu de la contestation anti-vaccinale mais elle n’aurait jamais connu l’ampleur qu’elle rencontre aujourd’hui. Mais cela demeure un monde virtuel car la narration alternative qui s’y diffuse se déploie dans une bulle qui les éloigne de la réalité. « Ils sont minoritaires mais en raison de l’enfermement algorithmique des réseaux sociaux, les adeptes du complotisme sont convaincus d’être majoritaires puisqu’ils ne voient que des contenus qui les confortent dans leurs certitudes et leurs délires complotistes », constate Rudy Reichstadt. Ils se racontent une fable à laquelle ils finissent par croire. Ils se font une représentation du réel tellement biaisée qu’il est normal qu’ils adhèrent à un imaginaire complotiste aussi tordu.

Bien que le complotisme des covido-sceptiques soit délirant, il n’est pas rare de voir des scientifiques lui apporter leur soutien et leur caution. Ce phénomène n’a rien de neuf dans l’histoire des liens entre la science et l’idéologie. Ainsi, en pleine guerre froide, il y a eu le cas de Lyssenko. Ce technicien agricole soviétique a développé une théorie pseudo-scientifique de génétique « authentiquement marxiste et prolétarienne », érigée dès 1948 en théorie officielle en URSS. En Europe occidentale, certains scientifiques membres du Parti communiste n’ont pas hésité à défendre ces pseudo-théories. « Ce que le courant covido-sceptique a de neuf tient à l’émergence d’un populisme sanitaire ou médical auquel participent des scientifiques qui prennent des positions très contestables sur la pandémie », nuance Rudy Reichstadt. « Contrairement aux partisans de Lyssenko au 20e siècle, les scientifiques covido-sceptiques ont conquis un public complotiste qui en fait ses figures et ses paroles d’autorité ». Les covido-sceptiques se détournent de certaines sources mais s’en choisissent d’autres. Ils ne sont jamais satisfaits par les preuves données par les autorités scientifiques qu’ils dénoncent sans cesse mais ils gobent avec une crédulité déconcertante tout ce qui conforte leurs croyances. « C’est un phénomène de crédulité », insiste Rudy Reichstadt. « Ils pensent fermement que tous les scientifiques sont corrompus sauf le professeur Raoult et ses disciples. De la même manière, ils sont convaincus que tous les médias mentent sauf certains médias alternatifs complotistes qu’ils jugent formidables. Ce qui prouve bien que le complotisme est politique : ils acceptent certaines choses et en rejettent d’autres ».

Passeport sanitaire et étoile jaune

Banalisation

Avec le succès de la campagne de vaccination, le passeport vaccinal est devenu un des enjeux majeurs de la lutte contre la covid-19. Il n’en faut pas plus pour que les anti-vaccins ne se lancent dans une valse de comparaisons entre le passeport vaccinal et l’étoile jaune. Ainsi, lors d’une manifestation contre « la dictature sanitaire », organisée à Paris le 24 mai dernier à l’appel de la généticienne Alexandra Henrion-Caude. A cette occasion, l’humoriste Jean-Marie Bigard a glissé cette analogie avec la Shoah : « Non au pass sanitaire, pourquoi ils ne nous colleraient pas une étoile jaune pour qu’on soit repérés plus facilement? », s’époumonait-il face à des manifestant arborant pour certains des étoiles jaunes sur leurs vêtements.

Ils assimilent le gouvernement aux nazis mais ils acceptent avec une grande complaisance l’antisémitisme qui ne cesse de s’exprimer dans leurs rangs. Ils comparent le pass sanitaire à l’étoile jaune mais ils s’affichent avec des figures qui recommandent la lecture des Protocoles des sages de Sion!

Dans le complotisme des covido-sceptiques, l’antisémitisme est évidemment incontournable. « C’est comme un éléphant dans une pièce », relève Rudy Reichstadt. « Il ne remplit pas toute la pièce, mais on ne peut s’empêcher de le voir. Certains covido-sceptiques parlent d’élites apatrides auto-élues. Ce sont des formulations qui font sens lorsqu’on comprend ce langage. Certes, ils ne hurlent pas mort aux Juifs mais leurs discours sont emprunts d’un antisémitisme évident. Le thème de la domination est omniprésent. Ce sont les Juifs qui tirent les ficelles du système. Un tag sur une autoroute française reprend une accusation médiévale à l’encontre de l’ancienne ministre française de la Santé : « Buzyn empoisonneuse de puits ». Ce qui montre bien que loin d’être cantonné à l’espace virtuel d’Internet et des réseaux sociaux, ces discours complotistes rejaillissent dans le monde réel. Il y a un passage à l’acte qu’il ne faut surtout pas sous-estimer, même si l’imaginaire complotiste peut souvent susciter le rire et la moquerie tellement il est grotesque.

(1) https://plus.lesoir.be/376489/article/2021-06-07/grand-barometre-une-maj…

(2) http://www3.weforum.org/docs/WEF_survey_vaccine_confidence_2020.pdf

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